Quand le bateau disparait-il à l’horizon ?
Supposons que nous soyons, vous et moi, au bord de la mer et que nous regardions s’éloigner un bateau. Nous décidons de dire top quand nous le verrons disparaître. On peut prévoir que nous dirons top à peu près au même instant et nous en conclurons que le bateau vient de tomber au bout du monde. Chacun renforcera le témoignage de l’autre en disant que nous l’avons vu, de nos yeux vu, en même temps.
Supposons maintenant que l’un de nous monte sur le sommet d’une colline afin de dire top quand le bateau disparaîtra. Nous ne dirons pas top au même instant. Et c’est cette différence de témoignage qui nous rendra perplexes et nous obligera à moins nous fier à nos sens. Dès l’instant où l’on cherche à rendre cohérente une telle divergence d’opinions, le monde se métamorphose. Il n’est plus seulement alimenté par nos perceptions mais nous invite à nous représenter les représentations de l’autre. Le fait d’avoir constater en même temps la même chose nous conforte et nous pousse à l’erreur alors que la différence de nos deux perceptions nous invite à nous étonner, à observer et explorer le monde de l’autre.
Boris Cyrulnik, Les vilains petits canards.
Publié le 31 mai 2018