Des arcs-en-ciel de moquerie
Tout trahit en elle un art de glisser à la surface de la vie et de ses peines, de se méfier de toute bêtise comme de toute profondeur (c’est la même chose) ou, plus essentiel encore, un art de conjurer cet ennui gris et mou qui rôde autour de chacun comme un diable et qui est du reste le véritable démon, la seule malédiction qui importe, l’ennui, quand toutes les passions sont éteintes, les illusions, les ambitions et même les chagrins, quand il ne reste en somme au fond de soi qu’une froide, inerte et tragique lucidité qui paralyse. [...] Elle est menacée, assiégée par l’ennui, par la mollesse, la grisaille de ce qui l’entoure. Alors elle s’invente un peu de dureté, de lumière, de frivolité, des arcs-en-ciel de moquerie, elle cherche à se surprendre parce qu’elle est trop rarement surprise par les autres. [...]
– Je suis une femme épouvantable, n’est ce pas ? [...]
– En effet, mais je crois que c’est une grande qualité chez vous. Vous avez l’art d’inspirer des sentiments très violents. [...]
Elle repris sa marche toujours appuyée à son bras, mais il ne s’agissait pas d’un appui, c’était le contraire, elle avait posé sa main sur son coude comme pour se retenir, s’empêcher de s’élever, de devenir un ange, un mauvais ange, un tourbillon de pensées, de désirs... [...]
– Je suis persuadé que vous n’aimez rien tant que deviner, provoquer, imaginer. La vie serait si triste sans cela. Et il faut se protéger de la tristesse à tout prix. Ou de l’ennui. Même en étant épouvantable. [...]
Elle se sentit troublée et presque embarrassée par la clairvoyance de son compagnon qui [...] témoignait d’une telle perspicacité et risquait de la mettre en défaut. Oui, elle avait peur de s’ennuyer. Tout était là. [...]
– Mais je suis persuadé [...] que l’on s’ennuie moins en Italie qu’ailleurs.
– Parce que les femmes y sont épouvantables ?
– Parce qu’elles ont l’énergie de leurs passions, ce qui revient à peu près au même. [...]
Elle vint s’asseoir sur les marches, comme une paysanne sur un tabouret de ferme, avec un naturel, une liberté qui le stupéfia. Elle aimait surprendre, oui. Et elle y parvenait. [...]
Aurait-il enfin, lui aussi, l’énergie de ses passions ? Était-il italien pour tout dire ? Ou désespérément français ? [...]
Frédéric Vitoux, La comédie de Terracina, Jeudi19 décembre, 1
Publié le 10 avril 2017