Le poète et le fou
Tout [le] chemin est une quête aux similitudes : les moindres analogies sont sollicitées comme des signes assoupis qu’on doit réveiller pour qu’ils se mettent de nouveau à parler. [...]. Les similitudes déçoivent, tournent à la vision et au délire ; les choses demeurent obstinément dans leur identité ironique.
La similitude et les signes une fois dénoués, deux expériences peuvent se constituer et deux personnages peuvent apparaître face-à-face. Le fou [...] entendu comme déviance devenue indispensable [...], l’homme des ressemblances sauvages. [...] Celui qui s’est aliéné dans l’analogie. Il est le joueur déréglé du Même et de l’Autre. Il prend les choses pour ce qu’elles ne sont pas [...], il croit démasqué et il impose un masque. [...] Il est le Différent dans la mesure où il ne connaît pas la Différence ; il ne voit partout que ressemblances. [...]
A l’autre extrémité de l’espace culturel, mais tout proche par sa symétrie, le poète est celui qui, au-dessous des différences nommées et quotidiennement prévues, retrouve les parentés enfouies des choses, leurs similitudes dispersées. Sous les signes établis et malgré eux, il entend un autre discours, plus profond. [...]
De là sans doute, dans la culture occidentale moderne, le face-à-face de la poésie et de la folie. [...] La marque d’une nouvelle expérience du langage et des choses. Dans les marges d’un savoir qui sépare les êtres, les signes et les similitudes, et comme pour limiter son pouvoir le fou assure la fonction de l’homosémantisme : il rassemble tous les signes et les comble d’une ressemblance qui ne cesse de proliférer. Le poète assure la fonction inverse ; il tient le rôle allégorique ; sous le langage des signes et sous le jeu de leurs distinctions bien découpées, il se met à l’écoute de « l’autre langage », celui, sans mots ni discours, de la ressemblance.
Michel Foucault, Les mots et les choses, Chapitre III, I
Publié le 8 avril 2017