Un certain ordre muet
[La culture] se décalant insensiblement des ordres empiriques qui lui sont prescrits par ses codes primaires, instaurant une première distance par rapport à eux, leur fait perdre leur transparence initiale, cesse de se laisser passivement traverser par eux, se déprend de leurs pouvoirs immédiats et invisibles, se libère assez pour constater que ces ordres ne sont peut-être pas les seuls possibles ni les meilleurs ; de sorte qu’elle se trouve devant le fait brut qu’il y a, au-dessous de ces ordres spontanés, des choses qui sont elles-mêmes ordonnables, qui appartiennent à un certain ordre muet, bref qu’il y a de l’ordre. [...] Ainsi, entre le regard déjà codé et la connaissance réflexive, il y a une région médiane qui délivre l’ordre en son être même : c’est là qu’il apparaît [...] continu et gradué ou morcelé et discontinu, lié à l’espace ou constitué à chaque instant par la poussée du temps, apparenté à un tableau de variables ou défini par des systèmes séparés de cohérences, composé de ressemblances qui se suivent de proche en proche ou se répondent en miroir, organisé autour de différences croissantes, etc. [...] Entre les codes ordinateurs et les réflexions sur l’ordre, il y a l’expérience nue de l’ordre et de ses modes d’être.
[...] À quelles conditions [...] réfléchir, entre les choses, des rapports de similarité ou d’équivalence qui fondent et justifient les mots, les classifications, les échanges ? [...] de définir le grand damier des identités distinctes qui s’établit sur le fond brouillé, indéfini, sans visage et comme indifférent, des différences ?
Michel Foucault, Les mots et les choses, Préface
Publié le 11 février 2017