Se maintenir dans l’infini de la tâche
Le rapport du langage à [|’image] est un rapport infini. Non pas que la parole soit imparfaite, et en face du visible dans un déficit qu’elle s’efforcerait de rattraper. Ils sont irréductibles l’un à l’autre : on a beau dire ce qu’on voit, ce qu’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit, et on a beau faire voir, par des images, des métaphores, des comparaisons, ce qu’on est en train de dire, le lieu où elles resplendissent n’est pas celui que déploient les yeux, mais celui que définissent les successions de la syntaxe. Or [le mot] dans ce jeu n’est qu’un artifice : il permet de montrer du doigt, c’est-à-dire de faire passer subrepticement de l’espace où l’on parle à l’espace où l’on regarde, c’est à dire de les refermer commodément l’un sur l’autre comme s’ils étaient adéquats. Mais si on veut maintenir ouvert le rapport du langage et du visible, si on veut parler non pas à l’encontre mais à partir de leur incompatibilité, de manière à rester au plus proche de l’un et de l’autre, alors il faut effacer [les noms propres] et se maintenir dans l’infini de la tâche. C’est peut-être par l’intermédiaire de ce langage gris, anonyme, toujours méticuleux et répétitif parce que trop large, que [l’image], petit à petit, allumera ses clartés.
Michel Foucault, Les mots et les choses, chapitre I, II
Publié le 18 février 2017