Le jeu des sympathies
Nul chemin n’est déterminé à l’avance, nulle distance n’est supposée, nul enchaînement prescrit. La sympathie joue à l’état libre dans les profondeurs du monde. [...]
Tel est son pouvoir qu’elle ne se contente pas de jaillir d’un unique contact et de parcourir les espaces ; elle suscite le mouvement des choses dans le monde et provoque le rapprochement des plus distantes. [...]
La sympathie est compensée par sa figure jumelle, l’antipathie. Celle-ci maintient les choses en leur isolement et empêche l’assimilation ; elle enferme chaque espèce dans sa différence obstinée et sa propension à persévérer en ce qu’elle est. [...]
L’identité des choses, le fait qu’elles peuvent ressembler aux autres et s’approcher d’elles, mais sans s’y engloutir et en préservant leur singularité, - c’est le balancement constant de la sympathie et de l’antipathie qui en répond. Il explique que les choses croissent, se développent, se mélangent, disparaissent, meurent mais indéfiniment se retrouvent ; bref, qu’il y ait un espace (qui pourtant n’est pas sans repère ni répétition, sans havre de similitude) et un temps (qui pourtant laisse réapparaître indéfiniment les mêmes figures, les mêmes espèces, les mêmes éléments. [...]
La souveraineté du couple sympathie-antipathie, le mouvement et la dispersion qu’il prescrit donnent lieu à toutes les formes de ressemblance. [...]
Par ce jeu, le monde demeure identique ; les ressemblances continuent à être ce qu’elles sont, et à se ressembler. Le même reste le même, et verrouillé sur soi.
Michel Foucault, Les mots et les choses, II, I
Publié le 24 février 2017