Ève Lomé

Journal extime

Suspension de séance

Suspension de séance

La dissolution n’a de sens que si l’on modifie d’abord l’un des paramètres de l’équation politique : le mode de scrutin. Celui-ci n’est pas seulement une règle du jeu parmi d’autres. C’est la règle qui décide du jeu possible. Il détermine non seulement qui siège au Parlement, mais aussi quelles alliances peuvent être nouées, quelles stratégies sont rationnelles, et le style même de gouvernement.

L’actuel mode de scrutin échoue aujourd’hui à structurer des majorités et empêche la construction de coalitions de gouvernement. obligeant les partis à conclure des alliances avant le vote ou entre les deux tours en polarisant fortement les trois blocs rivaux, le scrutin majoritaire les fige dans leurs positionnements électoraux. Une fois l’élection passée, s’en affranchir expose à un coût politique très élevé : accusation de trahison, isolement institutionnel, scissions internes, et risque de sanction électorale. Toute tentative de recomposition devient alors presque impossible – surtout à l’approche d’une élection présidentielle qui réintroduit de la binarité dans le choix politique.

La proportionnelle, en revanche, a cet immense avantage de libérer les partis du corset des alliances électorales. Non seulement elle donne une vision plus juste des rapports de force, mais elle oblige à tenir compte du résultat des élections. Après l’élection, ceux qui veulent gouverner sont obligés de négocier, de composer sur le fondement de compromis assumés, pour construire en commun un programme de gouvernement. Le président de la République ne peut plus imposer de façon discrétionnaire un chef de gouvernement : le choix est tributaire des équilibres politiques et des accords conclus entre les forces parlementaires. Et le gouvernement ne peut alors entrer en fonction qu’avec la confiance d’une majorité des députés.

Avec la proportionnelle, le résultat du scrutin ne désigne pas automatiquement les gouvernants. Dès lors, les électeurs ne savent pas toujours, au moment du vote, avec quels partenaires leur parti préféré s’alliera, ni quelle ligne politique émergera de ces compromis. Ils doivent apprendre à voter pour le parti qui a leur préférence tout en sachant que, même arrivé en tête, il ne pourra sans doute pas appliquer tout son programme. Cette incertitude, inhérente à la proportionnelle, peut nous dérouter, mais serait un moindre mal face au blocage institutionnel durable produit par le scrutin majoritaire – et face à la perspective, désormais réelle, d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite.

Les partis qui veulent gouverner le pourront à la condition d’écouter, de convaincre et de composer pour construire un accord majoritaire. La proportionnelle n’impose pas d’accepter tous les compromis. Les partis conservent la liberté de poser des lignes rouges – par exemple, refuser toute alliance avec l’extrême droite –, mais ils doivent assumer clairement leurs choix et bâtir des coalitions gouvernantes sur des bases explicites. C’est à cette condition que pourra renaître une véritable capacité de gouvernement, appuyée sur une légitimité démocratique retrouvée.

Bastien François est professeur de science politique à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Le Monde, 06/09/2025

Fisher-Price parlementaire

Publié le 22 novembre 2016

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