Réalité labile et discutable
Quand un train prend de la vitesse, il se penche par la fenêtre. Si l’orage gronde sur la colline, il s’élance à son sommet. Qu’un bateau s’agite dans la houle, il demande qu’on l’attache à son mât. Beethovénien voire wagnérien, le paysagiste est animé d’une insatiable curiosité. Elle est de tous ses voyages, de toutes ses découvertes. Il éprouve, expérimente et capte matières, couleurs et ombres, dans le mouvement, l’énergie, la fulgurance des sensations qu’elles procurent.
De là s’amorce un jeu continu entre l’ouvrage humain et le paysage, entre culture et nature, qui fonde sa recherche picturale. Tant de pérégrinations ont pour but de confronter son œil et sa main à l’histoire, l’interprétation et la réalité du paysage. Attentif mais défiant, il analyse leur virtuosité, recompose leurs paysages pour mieux se les approprier et dépasse les leçons du passé pour trouver l’essence et le sens d’une représentation nouvelle. Appartenir au progrès impose une conception de la nature radicale et vivante. Le paysage devient donc le lieu de toutes les rencontres.
Nature et existence sont traversées de forces contraires qui s’opposent autant qu’elles s’unissent. La puissance des éléments en sublime la beauté, en souligne la symbolique et peut-être la dimension divine. Dès lors hybridations, métamorphoses et rapprochements métaphoriques deviennent systématiques. C’est pourquoi la figure, affranchie de détails, vient se fondre dans le paysage, au point d’oublier lignes et formes pour ne servir que les vibrations de la couleur. Cherche-t-il à percer les mystères de la nature pour permettre à l’homme d’y trouver sa place ? Ou sublime-t-il la Terre pour rendre l’homme tout petit ? Ses vortex et effets de tourbillon unissant l’horizon plat aux vertiges des vagues ou des montagnes semblent évoquer le chaos originel ou la menace du temps, dans toutes ses acceptions. Inventer une manière nouvelle, mais en repartant de l’unique, de l’intime et de l’universel : la sensation de la vie.
D’après Christophe Averty, Le paysage réinventé de Turner, maître de la couleur, Connaissance des arts, mars 2020
Publié le 26 juillet 2020