Méthode et système
On voit tout de suite ce qui oppose méthode et système. Il ne peut y avoir qu’une méthode ; on peut inventer et appliquer un nombre considérable de systèmes. […] Le système est arbitraire dans tout son déroulement, mais une fois que le système des variables - le caractère - a été défini au départ, il n’est plus possible de le modifier, d’y ajouter ou d’en retrancher même un élément.
La méthode est imposée du dehors, par les ressemblances globales qui apparentent les choses ; elle transcrit immédiatement la perception dans le discours ; elle demeure en son point de départ, au plus près de la description, mais il lui est toujours possible d’apporter au caractère général qu’elle a défini empiriquement les modifications qui s’imposent. […] La méthode doit toujours être prête à se rectifier elle-même. […]
Le système résulte d’une décision mais il doit absolument être cohérent ; la méthode au contraire est un arrangement quelconque d’objets ou de faits rapprochés par des convenances ou des ressemblances quelconques, que l’on exprime par une notion générale et applicable à tous ces objets, sans cependant regarder cette notion fondamentale ou ce principe comme absolu ni invariable, ni si général qu’il ne puisse souffrir d’exception… La méthode ne diffère du système que par l’idée que l’auteur attache à ses principes, en les regardant comme variables dans la méthode, et comme absolu dans le système.
L’exigence de continuité n’a pas tout à fait la même forme dans les systèmes et dans les méthodes. Pour les systématiciens, la continuité n’est faite que de la juxtaposition sans faille des différentes régions que les caractères permettent de distinguer clairement ; il suffit d’une gradation ininterrompue des valeurs que peut prendre […] la structure choisie comme caractère ; à partir de ce principe, il apparaîtra quand toutes ces valeurs seront occupées par des êtres réels, même si on ne les connaît pas encore. […] Et sur cette continuité de juxtaposition, les catégories ne seront pas simplement des conventions arbitraires ; elles pourront correspondre […] à des régions qui existent distinctement sur cette nappe ininterrompue […] ; elles seront des plages plus vastes mais aussi réelles que les individus. […]
En revanche, dans les méthodes pour qui les ressemblances, sous leur forme massive et évidente, sont données d’abord, la continuité de la nature ne sera pas ce postulat purement négatif (pas d’espace blanc entre les catégories distinctes), mais une exigence positive : toute la [nature] forme une grande trame où les êtres se ressemblent de proche en proche, où les individus voisins sont infiniment semblables entre eux ; si bien que toute coupure qui n’indique pas l’infime différence de l’individu, mais des catégories plus larges, est toujours irréelle. Continuité de fusion où toute généralité est nominale.
Michel Foucault, Les mots et les choses, 5, 4 et 5
Publié le 7 août 2017