Mandat d’arrêt
Même les littératures les plus anciennes, nous offrent des aperçus inoubliables de villes, il suffit de penser à Babylone dans la Bible et à Troie dans l’Iliade, sans parler de la Rome de l’Énéide, ni de Pise, Bologne, Rome et Florence dans la Commedia de Dante. Homère s’intéressait davantage aux villes que ne l’indiquent généralement les commentaires. Il est vrai que l’Iliade se déroule près de la mer et sur la plaine, mais Hector meurt pour sa ville et c’est depuis l’enceinte de ses murs que son épouse et sa mère lamente sa mort. Les Grecs sont venus de toute l’Hellas, du continent comme des îles, mais les Troyens sont un peuple qui n’a qu’une seule ville, un peuple qui a un centre. Le poème nous montre comment ceux qui n’ont pas de ville cherchent à détruire ceux qu’ils perçoivent comme un affront, les hautes murailles d’une ville et une culture urbaine installée. Comment la périphérie détruit le centre. Comment le chant vient toujours après la mort et la destruction en un effort désespéré et pourtant triomphant pour tout remettre en place. Hélène est souvent vue comme une excuse, l’excuse dont les Grecs avaient besoin afin d’acquérir des richesses en pillant la source des richesses.
Dans le poème tel que nous nous connaissons, elle est l’excuse du nomade qui veut se venger de ceux qui se sont établis. Tout comme Attila et ses hordes se sont vengés de Rome, et les Vikings de la ville de Chester, comme tous les nomades de l’histoire, ceux qui en suivi Tamerlan et ceux qui ont suivi Gengis Khan, se sont toujours vengés de ceux qui était urbain et bien établi. On peut mesurer la grandeur de Homère au fait que c’est Hector, le mari, et le père, et le fils, qui représente Troie.
Malgré tout c’est Rome qui est la première ville moderne, la première manifestation de la ville comme le lieu où se retrouve les dépossédés et les déracinés, les foules sans direction, les taudis, la violence et la chaleur, un lieu où l’ordre et la bienséance, où la tradition et la courtoisie n’ont plus de prise, où les anciens tabous sont brisées tous les jours est où le sexe hante les rues, les palais et les bars.
Étant donné l’horreur qu’est la ville moderne, on se demande pourquoi elle a tellement attiré à la fois les nomades et les populations rurales. Une fois que les traditions de la campagne commencent à être mises en question, les rythmes intemporels de l’existence rurale finissent rapidement par être vu comme des règles répressives dénuées de signification et seules les villes paraissent apporter la liberté nécessaire à la découverte de soi et au progrès personnel. La ville est le lieu central de ce que Poe appelait le démon de la perversité, ce désir moderne d’auto-immolation comme prix de l’authenticité.
Moo Pak, Gabriel Josipovici
Les caryatides ont bien maigri
Publié le 20 septembre 2020