Les choses retirées dans leur essence propre
La représentation a perdu le pouvoir de fonder, à partir d’elle-même, dans son déploiement propre et par le jeu qu’il redouble sur soi, les liens qui peuvent unir ses divers éléments. Nulle composition nulle décomposition nulle analyse en identités et en différences ne peut plus justifier le lien des représentations entre elles ; l’ordre, le tableau dans lequel il se spatialise, les voisinages qu’il définit, les successions qu’il autorise comme autant de parcours possibles entre les points de sa surface ne sont plus en pouvoir de lier entre elles les représentations ou entre les éléments de chacune. La condition de ces liens, elle réside désormais à l’extérieur de la représentation, au-delà de son immédiate visibilité, dans une sorte d’arrière-monde plus profond qu’elle-même et plus épais. Pour rejoindre le point où se nouent les formes visibles des êtres [...] il faut se diriger vers ce sommet, vers cette pointe nécessaire mais jamais accessible qui s’enfonce, hors de notre regard, vers le cœur même des choses. Retirées vers leur essence propre, siégeant enfin dans la force qui les anime, dans l’organisation qui les maintient, dans la genèse qui n’a cessé de les produire, les choses échappent, en leur vérité fondamentale, à l’espace du tableau ; au lieu de n’être rien de plus que la constance qui distribue selon les mêmes formes le représentation, elles s’enroulent sur elles-mêmes, se donne un volume propre, se définissent un espace interne qui, pour notre représentation, est à l’extérieur. C’est à partir de l’architecture qu’elle cache, de la cohésion qui maintient son règne souverain et secret sur chacune de leurs parties, c’est du fond de cette force qui les fait naitre et demeure en elles comme immobile mais encore vibrante, que les choses par fragments, profils, morceaux, écailles, viennent se donner, bien partiellement, à la représentation. De leur inaccessible réserve, celle-ci ne détache que pièce à pièce de minces éléments dont l’unité reste toujours nouée là-bas.
Michel Foucault, Les mots les choses, 5, 7.
Publié le 5 novembre 2017