Incident voyageur
En dix ans, mon pays, et mon monde personnel, se sont profondément transformés sous les effets d’une politique d’austérité d’une violence inouïe. Il n’en est pas sorti indemne. Les grecs non plus. Comme eux, ma famille a vécu la crise de plein fouet. Certains se sont exilés, d’autres ont coulé, une petite minorité s’est enrichie, accroissant de ce fait les doutes, l’amertume, les remises en question. Une Grèce en pleine crise rongée par les mafias et les spéculateurs. Maintenant, il faut faire avec et avancer.
Ce drame s’est déroulé sous les yeux de l’Europe, qui assistait sans broncher à la lente asphyxie du pays, comme au travers d’une caméra dans une mauvaise émission de téléréalité. Et à Paris, on me posait des questions dont le seul intitulé sous-entendait déjà tous les préjugés auxquels les grecs étaient réduits : fraudeurs, fainéants, et incapables de prendre en main leur destin. Le tout nimbé d’absence de solidarité européenne sur la question migratoire et de solitude grecque dans le cône sud de l’Europe.
Éviter de réduire la Grèce aux seuls aspects de la mer bleue, des maison blanches, et de la féta – bien que ces aspects fassent part intégrante de son identité. Mais ce n’est pas la seule. Aller au-delà, montrer la société grecque telle qu’elle est aujourd’hui : désorientée, endurcie, amère, préoccupée à survivre, mais non sans une bonne dose d’humour et d’autodérision.
Piocher dans ce que je connais et dans ce que je suis, c’est-à-dire ma génération, celle des cinquantenaires. Celle dont les grands-parents et les parents ont vécu l’histoire du XXème siècle grec marqué par les dictatures, les guerres, les modifications de frontières, les échanges de population, et l’exil. En cent ans, la Grèce a vécu ce que d’autres pays ont vécu en plusieurs siècles : un concentré d’histoire brute. Ma génération a aussi connu l’adhésion de la Grèce à l’Union européenne, le « miracle » économique et l’afflux d’argent facile des années 80 … et les détournements de fonds. C’est une génération qui a été trahie par une classe politique et par ses ainés, mais a aussi raté un coche.
À l’image du pays, il porte sa croix. Il est en crise, en quête de lui-même, avec ses travers, ses contradictions, son flegme et son humour.
Sophia Mavroudis, interview, septembre 2020
« J’en ai par-dessus la tête » nous dit cette poupée de cire
Publié le 17 septembre 2020
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