Forcer le présent à redevenir du passé
Il faut le montrer parce qu’ensuite on l’oublie, il y a une ellipse, un blanc pareil au trou de mémoire creusé dans le début de la vie. [...]. On oublie la naissance, on oublie qu’on a eu froid, qu’on a eu mal, qu’on a eu peur, on ne veut pas le savoir. L’angoisse est pourtant le signe initial de l’amour, comme elle en signe aussi la fin, c’est même une chose étrange, cette symétrie : l’amour commence comme il finira, il finit comme il a commencé, par cet effroi qui sert le cœur autour d’un vide, cet appel d’air entravé qui coupe le souffle comme un appel à l’aide, ce mouvement d’accordéon intime qui inspire et expire, diastole et systole, chaud-froid, pompe affolée.
L’amour commence comme on vient au monde, c’est âpre, ça rappe et ça fait mal, l’air déchire et manque à la fois, on voudrait crier au secours, on est faible et nu, à découvert, on a peur, on est innocent. On naît la mort dans l’âme.
On naît la mort dans l’âme parce qu’on sait tout, on doit bien le savoir, on n’aurait pas peur, sinon.
La peur a ses secrets - on enrage, on s’émeut, on perd courage : on n’a pas demandé à naître.
Ni toi ni moi, Camille Laurens
Publié le 22 décembre 2018