Élans, élancements, puis retombées amères et délicieuses
… Si ma mère m’avait aimée, je ne serais pas celle que je suis devenue. J’ai toujours senti que j’étais de trop, qu’elle se forçait et que les explications sur ma naissance étaient ténébreuses et contradictoires. J’ai fini par comprendre ce qui était arrivé très tard. Sans cette histoire-là, je n’aurais pas fictionné, je n’aurais pas réinventé la vie.
Très tôt. Il y a toujours eu un mystère autour de mon prénom. Je lui demandais régulièrement pourquoi je m’appelais X, qui n’était pas un prénom de ma génération. Ses réponses variaient sans cesse. Elle m’avait d’abord dit qu’elle était convaincue qu’elle attendait un garçon et que, prise de court, elle avait choisi mon prénom dans un magazine. J’avais surtout entendu qu’elle voulait un garçon et que je n’étais pas la bienvenue !
Elle ne m’aimait pas, ne pouvait pas m’aimer et c’était son droit. Certains parents n’aiment pas leurs enfants. Je me suis toujours sentie de trop.
Je ne jurais que par l’école. Je me sentais coupable du rejet de ma mère, je n’avais aucune confiance en moi. Ce sont les professeurs qui m’ont poussée à faire des études.
J’ai eu de gros problèmes de santé qui étaient d’ordre psychosomatique, je refusais de manger. Je suis une survivante, j’aurais dû mourir à la naissance, je suis d’une incroyable ténacité, une vivace, comme disait ma mère. Il y avait un vœu de mort autour de moi que j’ai conjuré. Ça m’a pris du temps et des années d’analyse avant de me sentir à ma place.
Interview d’Irène Frain pour Le Monde, 31/01/2021
Publié le 24 octobre 2018