Désertifications
On lui avait parlé d’une mer de sable. Idriss n’avait jamais vu la mer, mais ils en eut une image parfaitement fidèle en butant au bout d’une rue sur la grande dune qui montait, vierge et dorée, jusqu’au ciel. Une colline de moins cent mètres de haut, douce et parfaitement intacte, sans cesse caressée et remodelée par le vent, annonçait ainsi, comme sa première vague, l’immense océan du Grand Erg Occidental. Il ne put se retenir de se jeter à l’assaut de cette montagne instable et tendre, qui croulait sous ses pieds en cascades blondes, et au flanc de laquelle il se coucha un moment pour reprendre son souffle. Pourtant l’escalade n’avais rien d’éprouvant, et il se trouva bientôt à cheval sur la crête, une arête rigoureusement dessinée, qu’un friselit provoqué par le vent ne cessait de peigner et d’aiguiser. À l’est moutonnait à l’infini, jusqu’à l’horizon, l’échine d’or d’une infinité d’autres dunes, une mer de sable, oui, mais figée, immobile, sans un navire. En se retournant, il voyait à ses pieds les gourbis cubiques, les dômes et les terrasses du village, et plus loin, en contrebas, la toison verte de la palmeraie. Une rumeur de cris, d’appels, d’abois, et soudain, plannant sur la communauté, le chant du muezzin, montaient comme seule preuve de vie de l’oasis. En redescendant, il constata que la trace de ses pas au flanc de la première dune était déjà effacée, comme absorbée, digérée par l’épaisseur du sable. La dune était à nouveau vierge et intacte comme au premier jour de la création. Il se demanda par quel miracle cette masse de sable meuble, constamment travaillée par l’air, n’envahissait pas les rues, ne recouvrait pas les maisons.
La goutte d’or, Michel Tournier
Publié le 16 novembre 2017