Cris rouillés
Qu’est-ce que le « coup du rideau » qui suspend l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale ?
Cette tactique, un peu roublarde, est pourtant bien connue des élus et des gouvernements : il s’agit du « coup du rideau ». La manœuvre repose sur l’effet de surprise et consiste à faire croire à la majorité qu’elle reste majoritaire dans l’hémicycle. Concrètement, quand ils sentent qu’ils ont une chance d’être majoritaires, ce qui est rare, les députés de l’opposition arrivent en nombre pile au moment du vote pour mettre en minorité la majorité.
La technique tire son nom des grands rideaux rouges disposés aux deux entrées de l’hémicycle (traditionnellement, les élus de gauche entrent par celle de gauche, et les élus de droite par celle de droite). Ces lourdes tentures permettent aux députés de l’opposition de cacher leurs effectifs réels avant de réaliser leur coup et de faire capoter le vote.
Pour s’assurer que la majorité reste majoritaire, des attachés parlementaires sont chargés de décompter régulièrement les forces en présence. Un exercice rendu compliqué, voire impossible, quand de facétieux députés se tiennent en embuscade…
Le « coup du rideau » ne repose pas uniquement sur l’effet de surprise. Pour que cela fonctionne, il faut avant tout que les députés de la majorité soient peu nombreux.
Parfois, le stratagème est mal préparé et il échoue.
Les députés de l’opposition disposent d’autres outils pour jouer la montre et tenter de gripper la machine parlementaire. Pour suspendre un débat, les élus chronophages n’hésitent pas à recourir à l’article 58 du règlement de l’Assemblée nationale, dont l’invocation suspend automatiquement les discussions. Concrètement, n’importe quel député peut demander la parole s’il estime que le règlement a été bafoué. Il a deux minutes pour s’exprimer. Deux minutes qu’il se fera un plaisir d’utiliser.
Les présidents de groupe peuvent, eux, demander à tout moment une suspension de séance de dix minutes pour réunir leurs députés sur une question jugée importante. Si l’on ajoute la prise de parole du président au temps que les députés sortent et reviennent dans l’hémicycle, l’interruption dure, en réalité, plus longtemps.
Tout député a le droit de déposer autant d’amendements qu’il le veut. Quand il s’agit de jouer la carte de l’obstruction parlementaire, certains ont la main lourde, transformant l’examen du texte en un marathon parlementaire assez indigeste.
Marie Slavicek pour Le Monde (04/01/2022)
Publié le 8 mars 2021