Ève Lomé

Journal extime

Avoir une tête à connaître le goût des feutres

Avoir une tête à connaître le goût des feutres

Avoir une tête à connaître le goût des feutres

Avoir une tête à connaître le goût des feutres

Avoir une tête à connaître le goût des feutres [avwaʁ yn tɛt a konɛtʁ lø gu de føtʁ]

Le quidam au regard perdu, l’inconnu à l’air rêveur, celui en décalage avec son environnement immédiat, passe rarement pour un foudre de guerre. À l’école, c’est l’élève distrait qui mâchouille son stylo Bic au lieu de se concentrer sur le débit des fleuves du bassin amazonien, qui mange sa colle Cléopâtre alors que la maîtresse l’interroge sur les compléments d’objets directs et indirects, et, au final, déguste les feutres de sa trousse comme des bâtons de réglisse.

Loin d’être un cancre, il est ailleurs. Sa pensée papillonne au gré d’associations d’idées inconnues du commun des mortels, sa réflexion se tisse dans un labyrinthe intérieur que seul son esprit connaît.

Avoir une tête à connaître le goût des feutres, c’est endosser cette mine légèrement ahurie, ce froncement de sourcils qui trahit une conversation intérieure aussi dense que mystérieuse. Ce n’est pas de la bêtise mais de l’absence au monde tangible, un flottement cérébral qui donne aux yeux du pragmatique, un air de doux benêt.

Dans l’open space moderne, celui qui a une tête à connaître le goût des feutres regarde dans le vide au lieu de répondre illico à la question qu’on vient de lui poser, provoquant soupirs exaspérés et commentaires entendus entre collègues. Lors d’un dîner, il sort soudain de sa torpeur pour lâcher une phrase sans rapport avec la conversation en cours. Et pourtant… ce type-là, que l’on croit vaguement attardé, voit souvent plus loin que les autres.

©️ Les mots délicieusement surannés.

Art en serre, hareng saur

Publié le 30 mars 2025

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