Ève Lomé

Journal extime

Pourquoi l’absence est-elle si fascinante à regarder ?

Les images témoignent d’une situation effrayante, elles nous attirent par leur aspect inédit et étrange. Elles incitent à s’arrêter un instant, à regarder plus attentivement et à prendre le temps de comprendre ce que disent ces lieux sans habitants ou passants.

L’attirance pour les images d’un monde dénué de présence humaine révèle peut-être une forme de fascination collective pour la fin du monde, voire pour l’extinction de l’espèce humaine.

Les images de bâtiments en ruines ou envahis par les mauvaises herbes sont qualifiées de « ruin porn », ou « pornographie des ruines » : autrement dit, leur succès témoigne du plaisir voyeuriste que certains retirent à la vue du délabrement des bâtiments, ou de lieux abandonnés.

Cette attirance résulte d’un paradoxe : on regarde une scène qui devrait causer une forme de malaise (ou l’envie de s’en éloigner), et pourtant, ce n’est pas le cas. Le spectateur regarde une représentation de la scène, sans la vivre lui-même, depuis une position confortable et distancée. Mais il existe une autre façon de définir le « ruin porn », une définition morale : c’est un plaisir qui résulte de la contemplation de l’échec ; c’est le cas, par exemple, avec les ruines architecturales. Étrangers à la scène que nous observons, nous esthétisons une image du déclin tout en nous dédouanant des causes qui ont pu y mener.

L’absence de sujets sur les photos nous donne la possibilité de voir au loin avec une perspective sans fin. Nous avons alors l’impression d’être seuls dans le paysage, tels d’héroïques aventuriers.

Les espaces abandonnés et désertés transforment des espaces familiers en espaces inconnus. Ces photographies d’espaces publics vides captent une rupture avec notre quotidien et nous permettent de visualiser l’étrangeté d’une réalité alternative.

Le monde extérieur apparaît dans l’imaginaire collectif comme étrangement désaffecté par les êtres humains. La sensation d’être seul dans une maison hantée montre notre peur de l’autre.

Les photographies montrent à quelle vitesse nous pouvons nous éloigner de notre vie quotidienne, comment notre environnement peut soudainement se transformer en quelque chose de fragile.

Les photographies d’espaces publics vides font tomber une illusion : celle que nous faisons partie intégrante de l’existence.

D’après
Au temps du coronavirus, l’étonnante mélancolie du vide
March 29, 2020, Cherine Fahd, Sara Oscar

Publié le 1er avril 2020